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2IO LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

parce que Rimbaud, comme nous Tavons déjà remarqué, poursuit en eux des fins égoïstes. C'est surtout parce qu'ils regardent vers un objet difficile et ne s'occupent qu'à l'imiter aussi textuellement que possible. On y sent quelque chose de fidèle à on ne sait quoi. Ce sont des témoins. Ils sont disposés comme des bornes qui auraient servi à quelque repérage astronomique. Il faut prendre le petit livre des Illuminations comme un carnet qu'un savant aurait laissé tomber de sa poche et qu'on trouverait plein de notations mystérieuses sur un ordre de phéno- mènes inconnu. Nous n'étions pas là. Nous passons par hasard. Nous ramassons ces reliques inestimables qui ne nous étaient pas destinées.

Et comment Rimbaud songerait-il à s'adresser à nous alors qu'il ne sait pas ce qu'il dit ? On croirait par instants qu'il raconte n'importe quoi. Ses mots défilent devant nous dans une espèce de hasard ; on ne reconnaît nulle part cette intention bien méditée, cette volonté d'écrire ceci et non point cela, qui paraissent dans tous les ouvrages de l'esprit, même dans les plus médiocres. A cet égard la Saison en Enfer peut, à première vue, être considérée comme un insignifiant et insupportable bavardage : les phrases y semblent naître les unes à côté des autres sui- vant les prétextes les plus fortuits, selon le caprice le plus vain. — La vérité est non pas que Rimbaud ne sait ce qu'il dit, mais qu'il ne sait ce que c'est qu'il dit. L'incohérence de son langage n'est que le reflet de l'igno- rance où il est de quelle est l'espèce de chose dont il parle. Il lui est impossible de nous viser, de préparer pour nous ce qu'il va dire, parce qu'il ne le tient pas à l'avance, parce qu'il ne l'apprend qu'au moment où il le profère.

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