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RIMBAUD 15

Périssez ! Puissance^ justice^ histoire : à bas !

Ça nous est dû. Le sang î le sang ! la flamme d^or !

Tout à la guerre^ à la vengeance^ à la terreur. Mon esprit î tournons dans la morsure : Ah ! passez, Républiques de ce monde ! Des empereurs. Des régiments, des colons, des peuples : assez ! ^

Cette impartialité de la fureur, cette égalité de la rage trahissent l'étrange détachement où est Rimbaud des objets qu'il harcèle avec le plus d'acharnement. Il les déteste, il les attaque, mais en même temps, il les main- tient à distance, il leur impose un espace d'avec lui où viennent s'égaliser toutes leurs petites différences, se perdre les nuances et les degrés de leur ignominie. Il nous poursuit, il s'attache à chacun de nous, mais en même temps il recule, il se sépare de nous tous, il se tient à l'écart dans un étonnement scandalisé. Il y a je ne sais quel silence et quel retranchement au fond de ses injures. Nous n'avons même pas l'idée de nous justifier devant lui, tellement nous sentons que " ce n'est pas pour ça " qu'il nous en veut. Au fond il n'a rien à débrouiller avec nous. Nous ne sommes là que pour recevoir sa haine. Il ne sait pas qui nous sommes ; qui croirait l'avoir offensé, lui donnerait à rire. Il a toujours l'air de ne vouloir s'ex- pliquer qu'avec quelqu'un que nous ne voyons pas. C'est vers ce spectateur invisible qu'il se tourne sans cesse ; il nous montre à lui simplement, il nous présente et ça suffit.

L'ironie de Rimbaud n'a rien à faire avec l'esprit.

  • Les Illuminations : Vertige, dans les Œuvres, p. 1 1 1 .

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