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202 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

s'emplit de paix, de rire et de sérénité. Craignant l'admi- ration bruyante de mon compagnon, je sors de ma valise un petit livre anglais et j'abrite mon émotion derrière une demi-lecture. Pourquoi me mettre en frais ? Ma joie n'a rien d'aigu. Je suis si peu surpris d'être ici ! Tout m'y paraît si familier 1 Je m'y parais si naturel ! J'habite éperdûment ce paysage non étrange ; je reconnais tout ; je suis " comme chez moi " : c'est la Grèce.

29 Mai.

En mer adriatique.

Calme voluptueux de la chair, tranquille autant que cette mer sans rides. Equilibre parfait de l'esprit. Souple, égal, hardi, voluptueux, tel le vol à travers l'azur brillant de ces mouettes, l'essor libre de mes pensées.

30 Mai.

Entre Vérone et Milan.

A quel point peut influer sur le plaisir que nous y prenons la position géographique des pays — pour nous faire trouver, suivant la disposition de notre esprit, plus beau le plus lointain, ou au contraire le plus proche... Pour être de si facile accès vais-je aimer moins ces souriants abords du lac Majeur ? où l'eau surabondante semble céder à regret à la terre. Débordée, elle suintait et scintillait à travers l'herbe ; le ciel était chargé d'humeur, et, comme nous traversions l'averse, au dessus de ce printemps éploré, au dessus de l'ivresse des feuilles, d'un bout à l'autre de mon ciel, la belle écharpe d'Iris s'est posée.

André Gide.

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