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LA MARCHE TURQUE 185

Nous avons quitté Brousse dès cinq heures. Le temps était couvert ; une brume assez épaisse voilait les derniers plans, comme ce rideau de tulle gris qu'on fait tomber dans les féeries pour changer la toile de fond. Les arbres au bord de la route en paraissent plus énormes encore. Au dessous de ces grands arbres qui surgissent du brouil- lard par instants, une culture continue de petits mûriers nains occupe en rangs serrés les environs immédiats de Brousse. Plus loin ce sont des champs, puis d'assez vastes espaces vides. La route enfin s'élève lentement et les espaces labourés se font plus rares. Les Grecs, les Arméniens cultivent ces champs ; presque jamais les Turcs ; de sorte que, sans l'immigration, resterait à peu près à l'abandon la terre. C'est du moins ce que nous affirme notre drogman, juif de Buenos- Ayres, qui parle toutes les langues excepté l'hébreu, sujet du sultan, italien d'origine malgré son nom allemand, si difficile à prononcer qu'il a dû prendre un nom de guerre.

Nicolas porte un costume de globbe-trotter : nicker- bocker, guêtres de cuir verni. Son fez est doublé d'une coiffe ; il le soulève souvent pour s'éponger, car il a la sueur facile, et découvre un chef rond et ras. C'est sur les conseils d'un médecin de ses amis qu'il se rase : au Caire il avait mal aux yeux, à cause des mouches et du sable ; alors ce médecin lui a dit : rasez-vous et, tous les matins, trempez- vous les yeux dans du jus de citron. Depuis ce jour il est toujours rasé et n'a plus jamais mal aux yeux.

Il porte beau, se rengorge, est familier avec les autorités du pays, obséquieux avec les étrangers, hautain avec les inférieurs, fort de tout l'argent des touristes qu'il accom-

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