146 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
L'OTAGE de Paul Claudel au Théâtre de FŒuvre.
La représentation de V Annonce faite a Marie, celle de V Echange, nous avaient déjà fait constater quel accent profond et péremptoire rendent à la scène les drames de Paul Claudel. C'est aussi qu'il s'agit d'œuvres si nourries de vie, si chargées d'humanité, et portées par une force lyrique si sensible, que l'épreuve scéniquc ne fait qu'accuser en elles la vie, l'humanité, la beauté lyrique.
Cette impression n'a pu être que confirmée par la représen- tation de V Otage qu'a réalisée avec beaucoup de bonheur le Théâtre de l'Œuvre. Une action serrée, et solidement fondée sur des contingences historiques et matérielles, destinait d'ailleurs tout particulièrement V Otage au théâtre. Trois actes, formés chacun de deux scènes, révèlent une simple et sévère ordonnance, une construction évidente comme celle des trois porches de la cathédrale gothique, chacun divisé par le meneau de pierre. Le poète a systématiquement rejeté ce faux mouvement dramatique, basé sur l'accumulation des scènes, sur la complication volon- taire de l'action et de la péripétie. L'événement extérieur agit comme une pierre jetée dans une eau dormante : l'onde circulaire s'élargit et se propage jusque dans les régions les plus lointaines. Chaque scène s'approfondit en elle-même, elle est menée jusqu'à son dernier terme, jusqu'à sa dernière conséquence. Ainsi le mouvement dramatique est-il assuré par le développe- ment pathétique des sentiments ; c'est eux qui constituent l'armature vivante du drame, qui le portent, qui l'abreuvent comme d'une eau souterraine ; nous entendons d'abord la phrase prononcée, mais il semble qu'un concert de résonnances nous révèle, par delà la signification immédiate, tout le monde imprécis des pensées informulées, des hésitations, des doutes qui se résolvent dans l'affirmation ou dans le refus. Ce n'est pas un personnage vivant à cet instant précis qui nous parle, c'est l'être qui a déjà vécu toute une vie de joies et de douleurs,
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