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138 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

scolaire, mais définissent, dans son inspiration même, la pièce de Henri Ghéon. Mais il faut s'entendre sur le sens du terme tragédie. " On confond trop souvent, écrivait quelque part Henri Ghéon, l'art sacré, total, populaire, l'art de " plein air " des Grecs, avec Tart créé par Racine, art nuancé, discret, subtil, art en dedans qui ne s'adresse qu'à l'élite. " C'est bien ici d'un art de plein air qu'il s'agit ; et " populaire " ou " rustique " ne désignent pas tant le faubourg et la ferme où l'action se passe, qu'ils ne cherchent à déterminer le genre même de la peinture, la tonalité générale de la fresque. Jules Renard a dessiné des figures de paysans, il a écrit des histoires naturelles qui sont le con- traire de "rustiques"; il a fait preuve d'un art menu, net, intelligent et contenu. L'art de VEau de Vie veut être tout l'opposé : large, simple, emporté dans un grand mouvement ; il ne fait appel qu'aux éléments psychologiques les plus courants, les plus faciles à reconnaître, les moins cérébraux ; il peut se passer de cette attention aiguë, rapide qu'on demande d'une élite^intellectuellement entraînée. Le Pain a été joué de faubourg en faubourg au cours d'une tournée électorale ; VEau de Vie pourrait être représentée sur quelque "Théâtre du peuple", et là seulement, cet effort de réaction contre ce que notre théâtre a de trop fignolé, de trop savant, de trop mondain, cette protestation contre — si j'osais dire — le "théâtre de chevalet" prendrait tout son sens et sa portée.

Tragédie, VEau de Vie l'est par son sujet, par cette fatalité de l'hérédité et du vice, plus forte que les volontés indivi- duelles et qui entraîne une famille vers son anéantissement. Il y a là un équivalent du Destin antique, une force aveugle qui donne le sentiment de la faiblesse de l'homme et qui finit par le broyer. Cette pièce est encore tragédie parce qu'elle est, avant tout, lyrique. Elle marque une étape de ce grand mouvement qui s'efforce depuis vingt ans à trouver un terrain d'entente, à amener une réconciliation entre le réalisme scénique et la poésie. Écrite il y a déjà quinze ans (deux actes en parurent dès 1900

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