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RIMBAUD 7

inutile de citer la suite de ce passage, où la dignité, la bravoure et le désintéressement de M. Lepelletier s'expri- ment de la façon la plus comique. Retenons-en simplement que plus tard Rimbaud ne parlait jamais de son hôte qu'en l'appelant : " salueur de morts, ancien troubade, pisseur de copie. "

Mais ce n'était là de sa part qu'amusement. Son inspira- tion injurieuse avait un fonds plus tragique. Les lettres qu'il écrivait à son ami Delahaye nous laissent sentir de quelle profondeur en lui surgissaient les paroles ordurières, quel affreux plaisir il y goûtait, avec quelle plénitude, quelle dilection, quel profit il les crachait : " Ce qu'il y a de certain, c'est merde à Perrin. Et au Comptoir de l'Uni- vers, qu'il soit en face du square ou non. " ^ " N'oublie pas de chier sur la Renaissance^ journal littéraire et artistique, si tu le rencontres. " ^ Il y a davantage ici que la grossièreté de l'adolescence. Le ton est plus grave et plus furieux ; les mots tiennent plus fortement à l'être de celui qui les prononce ; ils le secouent davantage en s'échappant de lui. C'est presque le transport d'une satis- faction organique. Quelle anormale compétence dans la façon dont il encanaille les mots les plus bénins en leur forgeant des désinences incongrues ! ^ On dirait qu'il leur

^ Lettre de juin 1872 à E. Delahaye, dans la Nouvelle Renjue Française du i" octobre 19 li, numéro XLVI, p, 579.

' Ibidem^ p. 580. Il faut noter que cette Renaissance venait de publier les Corbeaux. C'est donc à lui-même que Rimbaud adresse ici ses injures.

• Voir ibidem : Juimphe, Parmerde^ absotnphe, tra'vaince, caroio- polmerdiSf au lieu de : Juin, Paris, absinthe, tra'vaille, carolopoUtain, — et dans une autre lettre à Delahaye (p. 5 3 du présent numéro) : contemplostate, au lieu de : contemplation.

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