qui, si l’on veut que la tête reste droite et le regard calme, exige une véritable énergie vitale, cela devient l’objet d’une lutte aussi épuisante, aussi désespérée, que de se tenir accroché par le petit doigt au balustre d’un balcon, au-dessus du vide.
Et si Legrandin nous avait regardé de cet air étonné, c’est qu’à lui comme à ceux qui passaient alors, dans le fiacre où ma grand’mère semblait assise sur la banquette qui ne pouvait arrêter son corps précipité, elle apparut sombrant, glissant à l’abîme, se retenant désespérément aux coussins qui ne pouvaient arrêter son corps précipité, les cheveux en désordre, l’œil égaré, incapable de plus faire face à l’assaut des images que ne pouvait plus porter sa prunelle. Elle apparut, bien qu’à côté de moi, plongée dans ce monde inconnu au sein duquel elle avait déjà reçu les coups dont elle portait les traces quand je l’avais vue tout à l’heure aux Champs-Élysées, son chapeau, son visage, son manteau dérangés par la main de l’ange invisible avec lequel elle avait lutté.
Le soleil déclinait ; il enflammait un interminable mur que notre fiacre avait à longer avant d’arriver à notre rue et sur lequel l’ombre, projetée par le couchant, du cheval et de la voiture, se détachait en noir sur le fond rougeâtre, comme un char funèbre dans une terre cuite de Pompeï. Enfin nous arrivâmes. Je fis asseoir ma grand’mère en bas de l’escalier dans le vestibule, et je montai prévenir ma mère. Je lui dis que ma grand’mère rentrait un peu souffrante, ayant eu un étourdissement. À mes premiers mots, le visage de ma mère atteignit à un désespoir immense et déjà si résigné, que je compris que depuis bien des années elle le tenait tout prêt en elle pour un