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I 1 8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

néant incapable de les concevoir que ma grand'mère serait bientôt.

Nous disons bien que l'heure de la mort est incertaine mais quand nous disons cela nous nous représentons cette incertitude comme un espace vague et assez lointain, et nous ne pensons pas qu'elle ait un rapport quelconque avec la journée déjà commencée et puisse signifier que la mort — ou sa première prise de possession partielle de nous, après laquelle elle ne nous lâchera plus jusqu'à — pourra se produire dans cet après-midi même, si peu incertain, avec l'emploi de toutes ses heures réglé d'avance. On tient à sa promenade pour avoir dans un mois le total de bon air nécessaire, on a hésité sur le choix d'un manteau à emporter, du cocher à qui faire signe, on est en fiacre, la journée est tout entière devant vous, courte, parce qu'on veut être rentré à temps pour une amie ; on voudrait qu'il fît aussi beau le lendemain ; et on ne se doute pas que la mort qui cheminait en vous dans un autre plan, au milieu d'une impénétrable obscu- rité, a choisi précisément ce jour là pour entrer en scène, dans quelques minutes, à peu près à l'instant où la voiture atteindra les Champs-Elysées. Peut-être ceux que hante d'habitude l'efFroi de la singularité particulière à la mort, trouveront-ils quelque chose de rassurant à ce genre de mort là — à ce genre de premier contact avec la mort — parce qu'elle y revêt une apparence connue, familière, quoti- dienne. Un bon déjeuner l'a précédé et la même sortie que font des gens bien portants. Un retour en voiture découverte se superpose à sa première atteinte, et si malade que fut ma grand'mère, en somme plusieurs per- sonnes auraient pu dire qu'à 6 heures, quand nous

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