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Il6 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

qu'elle avait montrée en restant si longtemps, je battis en retraite pour ne pas avoir une part du dédain que lui témoignerait sans doute la marquise et je m'engageai dans l'allée mais lentement pour que ma grand'mère pût faci- lement me rejoindre et continuer avec moi. C'est ce qui arriva bientôt. Je pensais que ma grand'mère allait me dire : " Je t'ai fait bien attendre, j'espère que tu ne manqueras tout de même pas tes amis, " mais elle ne prononça pas une seule parole si bien qu'un peu déçu je ne voulus pas lui parler le premier ; enfin levant les yeux vers elle, je vis que tout en marchant auprès de moi, elle tenait la tête tournée de l'autre côté. Je craignis qu'elle n'eût encore mal au cœur. Je la regardai mieux et fus frappé de sa démarche saccadée. Son chapeau était de travers, son manteau sale, elle avait l'aspect désordonné et mécontent, rouge et préoccupé d'une personne qui vient d'être bousculée par une voiture ou qu'on a retirée d'un fossé. "J'ai eu peur que tu aies eu une nausée, grand'mère; te sens-tu mieux ? lui dis-je. " Sans doute pensa-t-elle qu'il lui était impossible, sans m'inquiéter, de ne pas me répondre. " J'ai entendu toute la conversation entre la marquise et le garde me dit-elle. C'était on ne peut plus Guermantes et petit noyau Verdurin. Dieu qu'en termes galants ces choses là étaient mises. " Voilà le propos qu'elle me tint et où elle avait mis toute sa finesse, son goût des citations, sa mémoire des classiques, un peu plus même qu'elle n'eût fait d'habitude et comme pour montrer qu'elle gardait bien tout cela en sa possession. Mais cette phrase je la devinai plutôt que je ne l'entendis, tant elle la prononça d'une voix ronchonnante et en ser- rant les dents plus que ne pouvait l'expliquer la peur de

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