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6 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

d'emportement. II ne vous attendait pas ; il prenait les devants, il se ruait sur vous d'abord et sans daigner s'expliquer. L'injure lui venait si spontanément à la bouche qu'il ne savait pas résister à sa montée. Elle était comme une fonction en lui, avec sa volupté spécifique. Il en possédait toutes les ressources, tous les secrets ; il en avait le tour, les façons de commencer, les vocatifs ; elle était chez lui à l'état jaillissant.Bien que, pour ce qui touche à Rimbaud, l'autorité d'Edmond Lepelletier soit des plus suspectes, nous pouvons cependant lui emprunter ici une anecdote. Il raconte qu'un jour, " pour faire plaisir à Verlaine ", il invita Rimbaud chez lui : " D'abord il ne desserra pas les dents pendant toute la première partie du repas, n'ouvrant la bouche que pour demander du pain ou à boire, d'un ton sec, comme à une table d'hôte ; puis, à la fin, sous l'influence d'un bourgogne énergique, dont Ver- laine lui versait largement, il devint agressif. Il lança des paradoxes provocateurs et émit des apophtegmes destinés à appeler la contradiction.il voulut notamment me plaisanter en m'appelant " salueur de morts ", parce qu'il m'avait aperçu soulevant mon chapeau sur le passage d'un convoi. Comme je venais de perdre ma mère, deux mois aupara- vant, je lui imposai silence sur ce sujet, et le regardai de certaine façon qu'il prit en assez mauvaise part, car il voulut se lever et s'avancer, menaçant de mon côté. Il avait pris nerveusement et sottement sur la table un couteau à dessert, comme une arme sans doute. Je lui collai la main à l'épaule et le forçai à se rasseoir, en lui disant que je sortais de faire la guerre, etc. " ^ Il est

' Paul Verlaine, par Edmond Lepelletier, Mercure de France, pp. 260-262.

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