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I02 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

vieillie (elle qui pour moi n'avait jamais eu aucun âge), résignée à ne pas me voir, attendant une lettre de moi dans l'appartement vide. Hélas, ce fantôme-là, ce fut lui que j'aperçus, quand entré au salon, sans que ma grand'mère fût avertie de mon retour, je la trouvai en train de lire. J'étais là, mais plutôt je n'étais pas encore là puisqu'elle ne le savait pas ; et, comme une femme qu'on surprend en train de faire un ouvrage qu'elle cachera si on entre, elle était livrée à des pensées qu'elle n'avait jamais eues devant moi. De moi, par ce privilège qui ne dure qu'un instant, au moment du retour, d'assister brusquement à notre propre absence, — il n'y avait là que le témoin, l'observateur, en chapeau et manteau de voyage, l'étranger qui n'est pas de la maison, le photographe qui vient prendre un cliché des lieux qu'on ne reverra plus. Hélas ce qui se fît, mécani- quement, dans mes yeux, au moment où j'aperçus ma grand'mère, ce fut bien une photographie. Nous ne voyons jamais les êtres chéris que dans le système animé, le mouvement perpétuel de notre incessant amour, lequel avant de laisser les images que nous présentent leur visage arriver jusqu'à nous, les prend dans son tourbillon, les rejette, les applique, sur l'idée que nous nous faisons d'eux, depuis toujours.

Comment puisque les joues, les épaules de ma grand* mère je leur faisais signifier ce qu'il y avait de plus délicat et de plus permanent dans son esprit, comment n'en eussé-je pas omis ce qui en elle avait pu épaissir et changer, alors que même dans les spectacles les plus indifférents de la vie, notre œil, chargé de pensée, néglige, comme ferait une tragédie classique, toutes les images qui ne concourent

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