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758 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

le moins réussi ; et c'est justement l'instrument qu'il a forgé pour servir son dessein qui s'est retourné contre lui et l'a fait échouer. En effet il n'a inventé la continuité musicale que pour se rapprocher le plus possi- ble de la vraisemblance dramatique. Il pensait qu'il était contre nature d'enfermer un sentiment dans un air, que c'était le priver de son initiative, de sa liberté, paralyser son développement. Toutes ses innovations techniques ont tendu vers une expression aussi souple, aussi suivie que possible des péripéties tant intérieures qu'extérieures. Mais lorsqu'il s'est trouvé aux prises avec les change- ments de l'âme, avec ses volte-faces, ou plutôt lorsqu'il lui a fallu passer brusquement d'une âme à l'autre, atteindre en un éclair le sentiment opposé à celui qu'il venait d'énoncer — ce qui est l'essence de la contestation dra- matique — il a senti une résistance, quelque chose qui l'empêchait d'aller assez vite, quelque chose à briser ; des mains étroites et sûres le tenaient auxquelles il eût fallu échapper sur le champ ; il s'est vu empêtré dans la conti- nuité même de sa musique. Rien de plus curieux que de l'épier quand il aborde un dialogue ; à mesure que le mouvement se précipite, que les répliques se rapprochent, son malaise devient de plus en plus sensible; tout furieux, il se débat contre quelque chose d'invisible qui n'est rien d'autre que la suite et la conséquence qu'il à lui-même établies. Il s'en tire en rompant brusquement avec elles, en bousculant tout ce qu'il a si merveilleusement ménagé jusque-là. Il s'en prend aux voix, les secoue frénétique- ment, les disloque, les pousse à des éclats inharmonieux. La plupart des dialogues de Wagner sont beaucoup plus agités que les sentiments qu'ils expriment ; ils ont quelque

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