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708 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

faire enfler une toile mesurée, calculée, méthodiquement tendue, un projet de loi parant à certaines nécessités présentes et précises. Il introduit contre le romantisme sensualiste de Chateau- briand une volonté de discipline non morale, mais sociale :

    • J'ai trouvé, dit-il ailleurs, une discipline dans les cimetières,

où nos prédécesseurs divaguaient. " C'est la même discipline qu'il demande aux églises : et il tire de là, pour lui et pour ses collègues, une psychologie, une éthique, du législateur vrai. Voilà un progrès très net, dans le sens d'une saine discipline, sur le romantisme. Mais, sur cette voie, toutes les disciplines ne marchent point du même pas. Si du point de vue de l'homme, nous passons au point de vue de l'artiste, si en face des deux livres nous regardons (et cela est d'un prix égal au prix de n'importe quoi) comment ils sont écrits, le Génie du Christianisme apparaîtra comme un type d'écriture classique, disciplinée, membrée et méthodique, qui mène à sa fleur l'art de Massillon et de Rousseau, et la Grande Pitié y en ses parties lyriques, comme un exemple d'écriture romantique, fluente, toujours prête à partir sur un thème incertain et pénétrant de musique, à abandonner celui-ci pour épouser cet autre, à enchevêtrer l'un et l'autre en une symphonie plus subtile, à enrichir d'éclatantes draperies le mode tournoyant et trépidant de Michelet. Les belles pages lyriques de M. Barrés sont, à la lecture, un enchantement, mais à chaque lecture un enchante- ment toujours neuf, parce qu'il n'est rien resté de la lecture précédente. Musique très analogue à celle des vers libres, qui ne peuvent jamais s'installer dans la mémoire. Cela se ploie, se replie, comme une rivière de plaine, en une incertaine mollesse, et le charme serait presque le même, si l'ordre des phrases était dérangé. Je lis dans la Grande Pitié ce mot significatif qui, s'appliquerait si bien à l'œuvre de M. Barrés et qui nous mène- rait si loin en elle : " Je ne vois pas dans la nature les dieux tout formés des anciens, mais elle est pleine pour moi de dieux à demi défaits. "

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