Page:NRF 11.djvu/713

Cette page n’a pas encore été corrigée

REFLEXIONS SUR LA LITTERATURE 707

discipline latine et catholique : " Un protestant honteux vêtu de la pourpre de Rome. " Ainsi définissait-il Chateaubriand, et cette définition, aiguisée par des haines perspicaces, porte loin. M. Barrés s'est gardé avec un bon sens prudent, des récentes fureurs anti-romantiques. Néanmoins il ne lui déplai- rait pas que son œuvre portât contre l'héritage romantique, contre les suivants et les tenants du " musicien extravagant ". Ce n'est pas seulement politique, tactique, et conscience de parti. C'est aussi, je crois, l'effet nécessaire de sa nature artis- tique et intellectuelle.

Il semble, en effet, qu'il y ait toujours eu chez lui deux moitiés d'âme étrangement et pittoresquemcnt associées : l'une de réalisme matériel, vigoureux, sec, en tendons et en nerfs, à la Stendhal et à la Mérimée, et l'autre une âme de poésie opulente, abandonnée et défaite, tournoyante et vague; ces deux âmes s'harmonisant moins qu'elles ne se succèdent, ne se com- pensent, ne se combattent. Je ne veux pas évoquer ici le reste de l'œuvre de M. Barrés, ni tout ce qui, à ce propos, remonterait à ma mémoire ; mais la Grande Pitié nous offre un modèle fort clair de livre ainsi pensé, vécu, écrit en partie double. Le monde parlementaire d'une part, la terre française, vivante, respirante, chantante d'autre part, fournissent aux deux manières contraires les matières encore plus contraires qui leur conviennent. La sensibilité romantique était troublée par la conscience d'un monde où l'action n'est pas la sœur du rêve : M. Barrés a voulu, dans la plupart de ses livres, moins les accorder l'un à l'autre, que les pousser l'un et l'autre à l'extrême de leur logique et du plaisir qu'ils peuvent donner, tantôt les opposer dans des balancements harmonieux, tantôt les faire collaborer, comme c'est le cas ici, en une œuvre exacte, solide. C'est du fond de sa sensibilité, du lointain de tout ce qu'il connaît et qu'il aime, que nous le voyons convoquer " tout le divin, à la rescousse ", mais il ne le convoque point pour s'en émou- voir stérilement et solitairement : il le convoque pour lui

�� �