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NOTES 523

Don Juan. Molière, dans le vers, abdique sa vraie poésie, la poésie de sa prose si drue, si verte, si rebondissante et qui sonne si pleinement. Songez-y, cette prose est de premier jet ; toutes les grandes œuvres de prose qu'a signées Molière sont des œuvres quasi-bâclées qu'il n'a pas eu le temps ou le courage de transposer en vers. Mais là, nous le touchons à nu. Aussi sont-elles à la fois plus vivantes, plus hardies, plus rudes et aussi moins égales, moins charpentées, moins unes. Or, de toutes celles-ci, VJvare est la plus bigarrée. On y rencontre pêle-mêle de bas effets de vaudeville, de larges scènes de drame bourgeois, des coq-à-l'âne absurdes, des cris désespérés, et un factice dénouement sorti tout fait de la comédie italienne vient mettre fin a cette farce amère et gaie, grotesque, odieuse, profonde et raine, oui, souvent aussi vaine que profonde, et réciproquement, aussi neuve que rebattue. C'est aux acteurs de faire l'unité. Il ne suffira pas qu'Harpagon soit toujours en scène, auquel tout se rapporte, autour de qui tout évolue. Il faudra tout d'abord faire l'unité d'Harpagon, puis l'unité autour de lui. — Harpa- gon n'est pas seulement l'avare ; il est aussi bien le vieillard et le galantin ; il est le père, il est l'amant. Il doit sans doute faire rire, mais pouvoir en outre faire pleurer, sans cependant se décentrer, s'oublier ni se contredire. M. Charles Dullin a com- posé supérieurement cette complexe et bizarre figure : il a sauvegardé la force du " type " sans négliger aucune nuance du " caractère ". Il a été symbole, homme et pantin. Il a justifié le mépris, l'ironie, la haine de ses enfants et de ses serviteurs. Il n'a pas éludé la farce, il n'a pas éludé le drame. Il a pesé et dosé au plus juste la convention et la vérité. Et de même M™« Barbieri dans Frosine, M"^^ Bing dans Elise, M""* Albane dans Marianne, M. Tallier dans Cléante, M. Bouquet dans Maître Jacques. Car pas un de ces personnages, tout en outrant les gestes de la vie, qui ne tienne, fût-ce pas un fil, à la vie — et voilà l'unité profonde, l'unité cachée de cet art. — Son unité scénique, c'est encore " la danse ", comme dans

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