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512 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

aux mouvements de sa sensibilité. On comprend la colère de Jean : " Tu as Tair curieuse seulement de ce que je te prends, et non de ce que je suis. " Au moment où il serait le plus urgent d'être renseigné sur les raisons de ses actes, cet amant reste énigmatique. En vain Renée chcrche-t-elle à dissimuler ce vide ; elle a conscience de son impuissance à fixer une âme qui la fuit, elle exagère les épithètes et son style si mesuré se contraint à des expressions disproportionnées au personnage qui les suggère.

Ce que Renée ignore ou repousse éclaire autant sa person- nalité que ce qu'elle accueille. Presque toujours elle s'interdit d'imaginer là où elle ne voif pas. Si elle se livre si directement à nous, c'est qu'elle se connaît par le dedans et qu'elle saisit les autres par le dehors. Elle excelle à rendre le pittoresque des physionomies : telle silhouette, le confident Masseau, esquissée avec la plus divertissante fantaisie, présente plus de vérité que le portrait de Jean. Sans doute Renée déchiffre mal, sous leurs expressions incertaines, l'invisible psychologie des hommes; mais elle a le bon goût de ne se piquer d'aucune particulière pénétration, elle ne dépare d'aucune fausse prétention ses sympathies, et il est permis de la croire : elle comprend " le timide et fervent appel des bêtes familières, le fier silence des hommes qui souffrent. " Surtout, dans V Entrave, Renée a mis à nu " une raison de femme bien émue et bien tremblante ". Ce serait être infidèle à l'alerte délicatesse de ses confidences que de chercher à résumer cette histoire d'une âme qui se dit dans sa fuyante mobilité. Il ne faut pas écraser cette matière ailée sous le poids de mots abstraits qui ne sauraient garder, de ces pages pleines de charme, ni un parfum, ni un reflet.

E. D.

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