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47^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Son chapeau de castor, rabattu devant ses yeux, le séparait du paysage ; il fumait une pipette de genièvre et abandonnait ses pensées à leur mouvement naturel. Il pensait :

— " La vieille, avec un petit nuage blanc au-dessus de sa tête et qui me le montrait en disant : la pluie, ça ne sera pas encore pour aujourd'hui !... cette vieille dont j'ai chargé le sac sur mes épaules (par fantaisie il avait fait à pied, en quatre jours, la traversée des Apennins entre Bologne et Florence, couchant à Covigliajo) et que j'ai embrassée au haut de la côte... ça faisait partie de ce que le curé de Covigliajo appelait : les bonnes actions. Je l'aurais tout aussi bien serrée à la gorge — d'une main qui ne tremble pas — quand j'ai senti cette sale peau ridée sous mon doigt... Ah ! comme elle caressait le col de ma veste, pour en enlever la poussière ! en disant : fîglio mio ! carino !... D'où me venait cette intense joie quand, après et encore en sueur, à l'ombre de ce grand châtaignier, et pourtant sans fumer, je me suis étendu sur la mousse ? Je me sentais d'étreinte assez large pour embrasser l'entière humanité ; ou l'étrangler peut-être... Que peu de chose la vie humaine ! Et que je risquerais la mienne agilement, si seulement s'offrait quelque belle prouesse un peu joliment téméraire à oser !... Je ne peux tout de même pas me faire alpiniste ou aviateur... Qu'est-ce que me conseillerait ce claquemuré de Julius ?... Fâcheux qu'il soit si empoté 1 ça m'aurait plu d'avoir un frère.

" Pauvre Julius ! Tant de gens qui écrivent et si peu de gens qui lisent ! C'est un fait : on lit de moins en moins... si j'en juge par moi, comme disait l'autre. Ça finira par une catastrophe ; quelque belle catastrophe, tout

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