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234 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

— Elle s'en amusait beaucoup; elle disait que si nos invi- tés s'offusquaient, ils n'avaient qu'à partir ; mais cela n'empêchait de rester aucun de ceux que nous recevions.

— Pendant tout ce temps-là, votre instruction, mon pauvre enfant !...

— Oui, j'apprenais si facilement que ma mère jus- qu'alors l'avait un peu négligée ; j'avai^ seize ans bientôt ; ma mère sembla s'en apercevoir brusquement et, après un merveilleux voyage en Algérie que je fis avec l'oncle Fabj (ce fut là je crois le meilleur temps de ma vie) je fus envoyé à Paris et confié à une espèce de geôlier imperméable, qui s'occupa de mes études.

— Après cette excessive liberté, je comprends en effet que ce temps de contrainte ait pu vous paraître un peu dur.

— Je ne l'aurais jamais supporté, sans Protos. Il vivait à la même pension que moi ; pour apprendre le français, disait-on ; mais il le parlait à merveille, et je n'ai jamais compris ce qu'il faisait là ; non plus que ce que j'y faisais moi-même. Je languissais ; je n'avais pas précisément de l'amitié pour Protos, mais je me tournais vers lui comme s'il avait dû m'apporter la délivrance. Passablement plus âgé que moi, il paraissait encore plus que son âge, sans plus rien d'enfantin dans la démarche ni dans les goûts. Ses traits étaient extraordinairement expressifs, quand il voulait, et pouvaient exprimer n'importe quoi ; mais, au repos, il prenait l'air d'un imbécile. Un jour que je l'en plaisantais, il me répondit que, dans ce monde, il impor- tait de n'avoir jamais l'air de ce qu'on était.

" Il ne se tenait point pour satisfait tant qu'il ne paraissait que modeste ; il tenait à passer pour sot. Il s'amusait à

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