226 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
— Je n'écris pas pour m'amuser, dit-il noblement. Les joies que je goûte en écrivant sont supérieures à celles que je pourrais trouver à vivre. Du reste l'un n'empêche pas l'autre...
— Cela se dit. — Puis, élevant brusquement le ton qu'il avait laissé retomber comme par négligence : — Savez-vous ce qui me gâte l'écriture ? Ce sont les correc- tions, les ratures, les maquillages qu'on y fait.
— Croyez-vous donc qu'on ne se corrige pas, dans la vie ? demanda Julius allumé.
— Vous ne m'entendez pas : Dans la vie, on se corrige, à ce qu'on dit, on s'améliore ; on ne peut corriger ce qu'on a fait. C'est ce droit de retouche qui fait de l'écri- ture une chose si grise et si... (il n'acheva pas). Oui ; c'est là ce qui me paraît si beau dans la vie ; c'est qu'il faut peindre dans le frais. La rature y est défendue.
— Y aurait-il à raturer dans votre vie ?
— Non... pas encore trop... Et puisqu'on ne peut pas... Lafcadio se tut un instant, puis : — C'est tout de même par désir de rature que j'ai jeté au feu mon carnet !... Trop tard, vous voyez bien... Mais avouez que vous n'y avez pas compris grand'chose ?
Non ; cela, Julius ne l'avouerait point.
— Me permettez- vous quelques questions ? dit-il en guise de réponse.
Lafcadio se leva si brusquement que Julius crut qu'il voulait fuir ; mais il alla seulement vers la fenêtre et, soulevant le rideau d'étamine :
— C'est à vous ce jardin ?
— Non, fit Julius.
— Monsieur, je n'ai laissé jusqu'à présent personne
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