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Quand on a l’imagination naturellement noble, il sort toujours du bloc de marbre un dieu ; oui, mais lequel, c’est ce que l’artiste ne sait qu’après, et presque jamais avant. Voilà qui rabaisse singulièrement les prétentions de la volonté humaine et l’orgueil de ce que nous appelons nos préméditations, mais aussi nous découvre dans quelles singulières profondeurs se joue ce beau drame instinctif qui s’appelle l’incubation du chef-d’œuvre. On vous dit : la raison intervient ensuite pour mettre au point ce que l’instinct a senti ; quelle erreur ! La raison ne serait-elle pas plutôt un instinct comme un autre, l’instinct de la noblesse et de la hiérarchie ?

Cette inépuisable germination de formes qu’est le Musée Ingres vous renseigne admirablement sur la part de hasard inhérente à toute création. Il y a, au commencement de chaque œuvre d’art, une profusion, une richesse immense de possibilités et de contraires, entre lesquels la raison, cet instinct supérieur, cet instinct plus fort que les autres, intervient tout à coup, et choisit. Oui, il y a une fatalité, une cristallisation de l’œuvre d’art, mais pas toujours dans le sens que l’on croit, et l’œuvre d’art aurait pu se produire dans une tout autre direction. Ce qui ne l’empêcherait pas d’ailleurs d’être aussi belle, aussi complète et parfaite, la fatalité d’une chose n’étant que l’un de ses possibles réalisé sous certaines conditions. Mais comme il est plus beau qu’il en soit ainsi, et que des chefs-d’œuvre qu’on nous montre lentement menés par l’intelligence et la volonté, ne nous présentent que le dénouement harmonieux et naturel d’une tragédie confuse et touffue qui se joue dans les régions les plus obscures et au centre le plus vital de l’instinct !