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l86 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

traverse de grands faubourgs de maisons basses se succé- dant avec une régularité et une ressemblance implacables. Pour une bonne moitié, elles sont vides. On a l'im- pression d'entrer dans quelque ville abandonnée, après un siège, et où le murmure de la vie s'est éteint pour toujours. Ce fut en effet le sort de celle-ci, et elle ne s'est jamais relevée de sa disgrâce. Mais ce n'est point par là qu'il faut l'aborder. Il faut y venir du côté du fleuve qui la traverse ; elle dispense alors à celui qui la visite pour la première fois un ensemble unique de majesté et de grandeur.

Rien n'est si divers que ces rivières du pays de Lan- guedoc et de Gascogne. Chacune d'elles est expressive et parlante, chacune a son visage propre. Le Lot roule une onde, d'une seule coulée, dirait-on, tant elle est égale et compacte, et d'une couleur unie d'émeraude. L'Aude, moitié torrent, s'apaise à mesure qu'elle avance vers la mer, et, se composant alors, comme le Rhône, un cor- tège d'îles semées sur ses eaux, laisse vers soi pencher des arbres où il semble que toute une éternité de feuillage est suspendue. L'Ariège n'est qu'un courant d'écume et de bruit rompu par endroits de belles épaisseurs liquides que les truites transpercent de flèches dorées. L'Adour, chan- geant comme une matinée d'avril, et les Gaves du Béarn, tour à tour emportés et traînants, ont l'accent du parler qui se chante là-bas. Sur toutes, la Garonne est souve- raine. Depuis Toulouse, elle roule tant d'églises et de palais que sa marche toujours plus ralentie emprunte à ce poids magnifique une manière vraiment royale. Je sais un endroit où la courbe qu'elle décrit est faite pour trans- porter l'âme. Elle apparaît tout à coup comme poussée

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