volume la scène de rupture entre les deux amants se place à Versailles. Nous assistons à cinq ou six dîners, à dix ou douze réceptions. On nous conduit au Bois, à l’Opéra, au musée du Louvre. On nous montre des ducs, des comtes qui ne savent que faire de l’existence, des grandes dames qui se conduisent mal, des parvenus. Et nous voyons aussi ** le monde " s’ouvrir devant un grand philosophe, un grand musicien, un ancien ministre, et même un jeune député socialiste déjà célèbre.
Ah ! je ne dis pas qu’aucun de ces traits ne puisse coïncider avec la réalité. Mais vraiment, il y en a trop que nous connaissons déjà, et leur assemblage est criant de fausseté et de convention. Il avoue une impuissance fâcheuse à rien imaginer, ou bien, ce qui est plus grave, à rien voir de la vie. M. Abel Bonnard s’en est laissé conter par les romanciers qu’il a lus — j’entends les mauvais romanciers. Il voit le monde à travers M. Paul Bourget et quelques autres — avec une candeur de tout jeune homme.
Quant au sujet de son roman, je ne sais vraiment si l’on en doit parler. Laure et André, libres tous deux, amants depuis quelques mois, se quittent. C’est fait à la page 52 du livre. Que va-t-il arriver ? Ils se reprendront et s’épouseront, mais à la page 359 seulement, après avoir passé deux ans sans se rencontrer, et à vouloir s’oublier. Pendant 300 pages nous sommes donc obligés de les suivre dans des aventures peu divertissantes, banales, qui n’ont aucun rapport avec l’action véritable du livre. Long, trop long, fastidieux remplissage et qui pourrait durer plus longtemps et être vingt fois plus copieux sans plus d’invraisemblance. Quelle nécessité y a-t-il de faire défiler devant nous tant de comparses si peu intéressants et que nous sommes fatigués d’avoir vus dans tant d’autres romans ? Tout le temps qu’il nous les présente, M. Abel Bonnard sort de son sujet. Ou bien si c’était dans son dessein de nous faire une vaste peinture du " monde ", le sujet, c’est-à-dire le cadre qu’il a choisi ne convenait en aucune façon.