Page:NRF 11.djvu/145

Cette page n’a pas encore été corrigée

NOTES 139

LE ROMAN

DU COTÉ DE CHEZ SWANN (A la recherche du Temps Perdu), par Marcel Proust (Grasset, 3 fr.50).

Voilà une œuvre de loisir, dans la plus pleine acception du terme. Je n'en tire pas argument contre elle. Sans doute le loisir est-il la condition essentielle de l'œuvre d'art ? Il peut aussi la rendre vaine. — Toute la question est de savoir, si l'excès de loisir n'a pas conduit l'auteur à passer ici la mesure et si quel- que plaisir que nous prenions à le suivre, nous pouvons le suivre toujours. On sent que M. Marcel Proust a devant lui tout le temps qu'il faut pour mûrir, combiner, réussir un ouvrage considérable. Tout le temps est à lui : il en profite à sa façon. Il le considère d'avance comme du temps perdu. Il ne saurait donc le mieux employer qu'à rassembler les souvenirs, encore vivants en lui, d'un temps déjà perdu aussi ! il nous l'avoue, et d'enregistrer une faillite dont il n'aura garde de se vanter, mais dont il tient loyalement à nous rendre compte. Sa vie passée n'est pas un drame et il n'en veut pas faire un drame. Il a vu bien des choses, lu bien des livres, il a fréquenté bien des gens. Le loisir même a entretenu ses sens et son esprit dans un état de réceptivité totale. N'ayant pas à juger, il n'a pas eu à refuser; il n'a refusé rien... Ainsi, la moindre image de rencontre, le moindre souffle printanier, comme le moindre passant de la rue, ont pris dans sa mémoire une place aussi grande et non moins privilégiée, que les plus rares aventures, que les plus déchiran- tes passions, que les êtres le plus attachés à sa vie. Loin de lui le dessein de choisir et de " préférer " dans tout cela ! Toutes choses sont égales. Toutes choses, à qui les sait bien observer, renferment un trésor de nuances que l'on n'est pas près d'épui- ser et peuvent mettre en jeu les plus subtiles facultés d'analyse

�� �