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LE CINQUANTENAIRE D ALFRED DE VIGNY II 9

Et la voici ensuite qui laisse tomber de son seuil au mendiant de la route Y Aumône de Mallarmé.

Tire du métal cher quelque péché bizarre^ Et surtout ne va paSy drole^ acheter du pain !

Toute la pensée, toute la poésie de Vigny se développe sur un rythme à deux temps, dans un pessimisme auquel sa conscience de lui-même fournit un remède et un abri. Deux temps qui sont : une servitude, une grandeur. Servitude à l'égard de l'extérieur, grandeur à l'égard de soi-même : " J'élèverai sur ces débris, sur cette poussière, la sainte beauté de l'enthousiasme, de l'amour, de l'hon- neur, de la bonté, la miséricordieuse et universelle indul- gence qui remet toutes les fautes, et d'autant plus étendue que l'intelligence est plus grande. "

Ainsi s'élabore chez lui

U essence fine de la vie intérieure.

Mais elle ne se forme pas sans difficulté, sans résistance, et, par instants, dirait-on, sans mauvaise conscience. S'y complaire et la mettre trop haut eût gêné son pessimisme. Entré ou poussé dans la tour d'ivoire, il fallait bien qu'il y chantât, qu'il y embellît sa retraite ; mais du même fonds dont un poète exalte ce qu'il a et ce qu'il est, il met très haut ce qu'il n'est pas et qu'il n'a pas. Le Désir et la Possession sont le jour et la nuit alternés de l'inspi- ration poétique, comme de toute la vie humaine, bien qu'entre eux soit ménagée leur fusion dans les crépuscules délicats. Si l'on voulait, autrement que par cette alter- nance et ce rythme, découvrir aux Destinées une philo- sophie unique et stable, on se trouverait fort embarrassé.

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