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NOËLS ANCIENS

Cette pensée-là est tout simplement délicieuse, exquise. Saint François l’eût mise au nombre des Petites Fleurs de son jardin. Il la reconnaîtrait plutôt comme sienne, car elle embaumait depuis trois siècles ses divins parterres lorsque La Colombière la fit éclore, comme une rose miraculeuse de Noël, sur la neige du Canada. Il avait pris pour une céleste inspiration ce qui n’était dans son esprit qu’une réminiscence de pieuse lecture. L’Enfant Jésus, l’Agneau de Dieu, convertissant d’un regard les pécheurs endurcis — les loups les plus affreux du cantique — n’est-ce pas François d’Assise apprivoisant d’un sourire la bête monstrueuse du village de Gubbio ? — loup très féroce, dit la légende italienne,[1] Ce miracle de la douceur pouvait-il être illustré d’un plus radieux symbole ? Et ne traduit-il pas avec un art merveilleux, supérieur à tout langage, l’idéale suavité des paroles avec lesquelles l’Église raconte, au capitule de son Bréviaire, la naissance du Rédempteur : Apparuit benignitas et humanitas Salvatoris ?

Les archives de l’Hôtel-Dieu ne disent pas sur quel air on chantait à Québec le noël de M. de La Colombière. Comme la disposition rythmique des couplets ne se retrouve dans aucun des cantiques que j’ai consultés, il m’est absolument impossible de formuler une opinion à ce sujet. Je dirai seulement que la beauté de cette composition littéraire devrait inspirer nos musiciens canadiens-français.

J’assigne au noël de M. de La Colombière la date de 1694. En cela je commets un acte absolument arbitraire, car rien, au point de vue historique, ne m’y autorise. Je ne veux pas m’en justifier en invoquant cette détestable

  1. Peut-être s’est-il inspiré de la prophétie d’Isaïe, Vaticinium de Christi nativitate, chapitre 11, verset 6 :
    Habitavit lupus cum agno : et pardus cum hædo accubabit : vitulus et leo et ovis simul morabuntur, et Puer parvulus minabil eos.
    Sous son règne, le loup habitera avec l’agneau : le léopard reposera auprès du chevreau ; la génisse, le lion, la brebis demeureront ensemble ; et un petit Enfant suffira pour les conduire.