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NOËLS ANCIENS

péens et quel sort on pourrait faire à ceux qui viendraient y résider. On avait évidemment pensé en Angleterre à utiliser les membres du clergé que la tourmente révolutionnaire poussait déjà vers notre pays.

Par un étrange retour des choses humaines, poignant contraste et significative antithèse familiers à l’action de la Providence qui en dégage pour l’histoire du monde d’éloquentes et austères leçons, il advint que les ecclésiastiques français, émigrés au Canada, demandèrent l’aumône d’une patrie à ceux-là même que la France monarchique avait déshérités de son drapeau, traités en parias, reniés pour ses fils. Devant la détresse extrême de leurs frères, les Canadiens pardonnèrent tout : trahisons, ingratitudes et mépris ; l’indigne mère, pour coupable qu’elle fût, n’en demeurait pas moins la véritable mère de ces abandonnés et de ces bannis, l’Alma mater, l’inoubliable France ! Notre peuple, d’ailleurs, avait une âme trop jeune, trop naïve, un cœur trop tendre et trop neuf pour s’irriter contre un autre que l’ennemi traditionnel, l’Anglais, auquel il rapportait la cause unique de tous ses malheurs. Il en est des nations qui entrent dans la vie comme de l’enfance des individus : petits, leur cœur s’ouvre toujours et se dilate, même lorsqu’on le brise ; devenus grands, hommes faits, il se ferme et se bronze pour jamais. À cette époque, le Canada français, encore en bas âge politique, ne connaissait pas ces rancunes âpres, ces haines féroces des vieux pays de l’Europe gangrenés jusqu’aux moëlles ; il confondait tout encore, caresses et blessures venues de cette main adorée de la France qu’il reconnaissait, avec une émotion indicible, dans celle que lui tendait ses prêtres proscrits.

Avec les ecclésiastiques, émigrés rentrèrent au Canada, comme autant de bannis revenus de l’exil, les beaux livres français, devenus si rares, partant si regrettés ; livres d’études, livres de prières, livres de chants, et, après eux, ces lettres de famille, trois fois bénies, plus anxieusement attendues encore que le retour de la colombe biblique par les prisonniers de l’Arche.