Page:Myrand - Noëls anciens de la Nouvelle-France, 1899.djvu/125

Cette page a été validée par deux contributeurs.

XVI.


« Je vais vous raconter l’histoire d’une intelligence et d’un cœur. Mon ami s’appelait Jean ; son nom de famille importe peu. Avant de tourner ses yeux vers Dieu il avait dépensé une longue vie à regarder les hommes pour faire fortune et gagner de la renommée. L’écrivain est un espion involontaire, il viole incessamment autour de lui le secret des consciences. Je parle, bien entendu, ici, de ces écrivains qui ont la passion et le respect de leur art et non pas de ces écorcheurs de papier, noircissant des pages à la sueur du poignet, ne voyant rien par eux-mêmes, volant, copiant, plagiant, déshonorant la pensée des maîtres pour la resservir, démarquée et malpropre, à l’innombrable cohue des lecteurs qui ne savent pas lire. Je parle des forts et des dignes, de ces esprits de plus en plus rares qui pensent encore leur propre pensée au lieu de ravager celle d’autrui. »

J’emprunte cette citation au fameux livre de Féval, Étapes d’une conversion. L’illustre romancier catholique appelle Jean cet incomparable ami qu’il devrait plus justement appeler Paul, car il n’est autre que lui-même. Mais que nous importe ; au lieu du pseudonyme de Jean ou du prénom de Paul substituez Simon-Joseph, et cette page admirable deviendra la première de « l’histoire d’une intelligence et d’un cœur » qui eurent pour nom de famille celui de Pellegrin.

Il serait audacieux de soutenir que Féval et Pellegrin se ressemblent, dans le monde des lettres, au point d’échanger leurs biographies. L’histoire de leur vie renferme cependant un événement solennel identique, de gravité exceptionnelle, et de capitale importance : je veux parler de leur conversion religieuse. Brusquement, avec l’impétuosité redoutable d’une saute de vent, elle orienta la voile de leurs barques sur un point tout opposé de l’horizon, leur faisant, de la sorte, éviter une terre de