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ET SES AMIS

Et cela continue encore sur ce ton l’espace de trois pages.

Salir un linceul, souffleter un cadavre, apposer sur une tombe un scellé d’infamie ! quel triomphe et quelle volupté pour cet insulteur public !

Mais rendons-lui cette justice : à la mort de Madame de Frontenac, Saint-Simon ne goûta point cette joie mauvaise et ne se la permit pas. L’anecdote du coffret d’argent, si elle eût été vraie, lui en eût fourni cependant une occasion superbe. Il savait, au contraire, comme le tout-Paris aristocratique de l’époque, que le cœur de Frontenac, gouverneur du Canada, reposait depuis neuf ans à Saint-Nicolas-des-Champs, dans la chapelle des Messieurs de Montmort, ses beaux-frères, près des sépulcres de Roger de Buade, abbé d’Aubazine, son oncle, et d’Henriette-Marie de Buade, sa sœur préférée.

Le fait historique sur lequel s’est greffée la légende québecquoise qui nous occupe tient dans un paragraphe du testament de Frontenac :[1]

« Et comme Madame Anne de La Grange, son épouse, peut souhaiter comme lui, que le cœur de lui, seigneur testateur, soit transporté en la chapelle de Messieurs de Montmort, dans l’église de St-Nicolas-des-Champs, à Paris, en laquelle sont inhumés Madame de Montmort, sa sœur, et Monsieur l’abbé d’Aubazine, son oncle, il veut qu’à cet effet son cœur soit séparé de son corps et mis en garde dans une boîte de plomb ou d’argent. »

Les italiques sont de moi. Elles prouvent éloquemment, à mon avis, en quelle communion d’idées, d’esprit et de cœur vivaient alors ces deux illustres vieillards. Ce testament de Frontenac est plein de la pensée de sa femme et il abonde, à son égard, en sentiments exquis.

  1. Frontenac mourut à Québec, au château Saint-Louis, le 28 novembre 1698. — Son testament est en date du 22 novembre 1698. — Le Bulletin des Recherches Historiques l’a publié in extenso dans sa livraison de mars 1901.