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FRONTENAC

tement il l’insinue, il saisit le lecteur par des remarques d’une perfidie odieuse qu’il jette ça et là sur son chemin comme d’un air d’insouciance. Les grandes misères devant lesquelles tombe d’ordinaire le ressentiment des autres hommes ne servent qu’à exalter le sien ; les images même de la mort le trouvent insensible. On recule effrayé de cette prodigieuse faculté de haïr.[1]

Admirez comment il parle — et cela justifie parfaitement la sévérité de langage de son biographe — du comte de Gramont mort, à Paris, le même jour et à la même heure que Madame de Frontenac.

« C’était un chien enragé à qui rien n’échappait. Sa poltronnerie connue le mettait au-dessous de toutes suites de ses morsures ; avec cela escroc avec impudence et fripon au jeu à visage découvert, et joua gros toute sa vie. D’ailleurs prenant à toutes mains et toujours gueux, sans que les bienfaits du roi, dont il tira toujours beaucoup d’argent, aient pu le mettre tant soit peu à son aise. Il en avait eu pour rien le gouvernement de Larochelle et pays d’Aunis à la mort de M. de Navailles et l’avait vendu depuis fort cher à Gacé, depuis maréchal de Gatignon. Il avait les premières entrées et ne bougeait pas de la Cour. Nulle bassesse ne lui coûtait auprès des gens qu’il avait le plus déchirés, lorsqu’il avait besoin d’eux, prêt à recommencer dès qu’il en aurait eu ce qu’il en voulait. Ni parole, ni honneur, en quoi que ce fût, jusque là qu’il faisait mille contes plaisants de lui-même et qu’il tirait gloire de sa turpitude ; si bien qu’il l’a laissée à la postérité par des Mémoires de sa vie qui sont entre les mains de tout le monde et que ses plus grands ennemis n’auraient osé publier. »[2]

    donc la vérité depuis trois ans sur la cause, toute naturelle, de la mort du grand ministre lorsqu’il écrivit, de sang-froid, cet abominable mensonge historique.

  1. Cf : Saint-Simon, biographie par J. J. Weiss, au tome 43, pages 112 et 113 de la Nouvelle biographie générale d’Hoefer. — édition Firmin Didot Frères, Paris, 1864.
  2. Cf : Mémoires de Saint-Simon : tome 5, page 334 — édition Hachette, Paris, 1856.