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ET SES AMIS

meurtri que celui de l’épouse. La Providence voulut qu’il saignât d’une blessure affreuse et qui ne cicatrisa jamais.

Presque au lendemain du départ de Frontenac pour le Canada, son fils unique, François-Louis de Buade, que son père venait à peine de quitter, tout brillant de jeunesse et d’avenir, se fit tuer, à la tête de son régiment, dans un combat d’avant-garde, l’un des premiers qui se livrèrent au début de la guerre de Hollande.

Ce fut alors que l’inconsolable mère se rappela qu’elle était seule à porter l’honneur du nom des Buades. Les torts personnels de son mari furent pardonnés, sinon oubliés, par la fière comtesse qui ne songea plus désormais qu’à soutenir la fortune politique des Frontenacs. En l’appuyant c’était encore et toujours sa propre cause qu’elle servait, et elle y apporta toute la fougue et toute l’énergie de son impétueux caractère.

La seule passion violente qui posséda cette femme célèbre fut l’orgueil du nom qu’elle portait et le prestige éblouissant de sa personnalité. Non seulement Madame de Frontenac fut une beauté célèbre, un célèbre bel esprit, mais elle fut surtout, et demeurera dans l’histoire, une honnête femme, dans toute la saine acception de ce mot. Frontenac, pendant qu’il était au Canada, loin de se réjouir d’être dépêtré de sa femme, fut, au contraire, fort heureux d’entretenir avec elle la correspondance active que l’on sait. C’est bien elle, en effet, cette habile et vaillante diplomate, qui le dépêtre, plus qu’à son tour, des embarras toujours renaissants que lui causaient ses coups d’autorité, ses frasques aussi violentes que burlesques, et, plus que tout, l’extrême irritabilité de son caractère aussi impérieux que despotique. Elle le tient dix ans au pouvoir, malgré tout le monde, oserai-je dire, au défi de l’évêque, au défi de l’intendant, au défi de toutes les autorités comme de toutes les influences ecclésiastiques ou civiles de la colonie. Puis, quand la catastrophe finale arrive, lorsqu’au lendemain de la tourmente politique un flot de disgrâce l’aura rejeté au rivage, aux