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FRONTENAC

sensuelle, à la recherche de Don Juan, et désertant, pour le rejoindre, le toit paternel. On refuse à Frontenac les sentiments de Roméo, mais on lui prête volontiers les manières et les procédés d’un lovelace quelconque. Bref, on a fait si bien que la bonne foi des plus honnêtes historiens s’est laissée surprendre.

La belle Anne de la Grange-Trianon, ne fut pas aussi enlevée que le prétend l’opinion publique. Frontenac ne se conduisit pas en Romulus ; tout au contraire ce fut la Sabine qui s’en alla trouver le Romain… à l’église.

Voici donc comment les choses se passèrent, si je comprends bien mon auteur, lequel n’est autre, présentement, que messire Tallemant des Réaux en personne, chroniqueur peu suspect de bienséance sociale ou de charité chrétienne, et encore moins sympathique à ma cliente.

« La Grange, sieur de Neuville, était fort riche et n’avait pour tout enfant qu’une fille ; il la donna à élever à Madame Bouthillier sa parente. Frontenac la rechercha. Madame Bouthillier dit au père, et lui soutint jusqu’à la fin, qu’il pouvait mieux marier sa fille et que Frontenac, quoi qu’il dît, n’avait que vingt mille livres de rente. Cet homme (La Grange) qui n’avait pas grand’cervelle, laissa engager les choses et sottement portait des baisers à sa fille de la part de son futur gendre. Madame Bouthillier lui disait : « Si vous promettez votre fille, n’allez pas vous dédire après. »

« Il n’y avait plus qu’à aller au moustier, lorsque La Grange s’avisa de dire qu’il ne voulait plus Frontenac pour son gendre. Sa fille lui dit : « Mon père, vous m’avez commandé de l’aimer, j’y suis engagée, je n’en aurai point d’autre. » Voilà bien de l’embarras.

« Madame Bouthillier conseille au père de dire à sa fille qu’elle choisît : ou de retourner avec lui ou d’aller en religion. La fille aima mieux entrer en religion ; mais avant elle s’en alla marier secrètement, étant chez son père, pour entrer, à quelques jours de là, en religion. Après, ceux du parti de la fille dirent qu’elle était mariée.