Page:Myrand - Frontenac et ses amis, 1902.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
54
FRONTENAC

me mirent sur une chaise de bois. Je ne sais si je fus assise dedans ou sur le bras, tant la joie où j’étais m’avait mise hors de moi-même : tout le monde me baisait les mains, et je me pâmais de rire de me voir en si plaisant état. »[1]

« On l’emporta en triomphe. Une compagnie de soldats marchait en tête, tambour battant, et faisait faire place. Mesdames de Fiesque et de Frontenac pataugeaient par derrière, dans la boue, entourées de gens du peuple qui ne se lassaient pas de baisoter et de caresser ces officiers d’une nouvelle espèce. On en fit une chanson :

Deux jeunes et belles comtesses,
Ses deux maréchales de camp,
Suivirent sa royale altesse,
Dont on faisait un grand cancan.

Fiesque, cette bonne comtesse,
Allait baisant les bateliers ;
Et Frontenac (quelle détresse !)
Y perdit un de ses souliers.[2]

Si les bateliers de la Loire ont droit à nos plus chaudes félicitations pour la bonne fortune qu’ils eurent d’embrasser Madame de Frontenac, celle-ci ne mérite-t-elle pas aussi nos plus sincères compliments de condoléance ? Les véritables admirateurs de cette grande dame souffrent de ce spectacle vulgaire, de cette ovation de carrefour qui la met en contact avec ce que la populace avait alors de plus malpropre et de plus grossier. La fière comtesse dut autant souffrir dans sa vanité que dans sa délicatesse de se voir livrée à la merci de la racaille et contrainte de subir d’aussi répugnantes familiarités. Mais, hélas ! à qui la faute en revenait-elle ?

Passons sur cet incident malheureux et arrêtons-nous,

  1. Cf : Carette, Mémoires de Mademoiselle de Montpensier, page 80 — Paris 1896.
  2. Cf : Arvède Barine, La jeunesse de la Grande Mademoiselle, page 311.