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suffirait, pour l’éveiller, de relire cette allocution toute vibrante de patriotique éloquence.

« Pourquoi, disiez-vous, pourquoi resterions-nous en dehors du mouvement qui emporte tous les peuples, même les plus humbles, vers la conservation ou la reconstitution de leur idiome ? Voyez les Tchèques, les Polonais, les Flamands, les Provençaux, la vieille Irlande elle-même, que l’on pourrait croire irrémédiablement anglicisée et qui, depuis dix ans, sous l’effort de la Ligue Gaëlique, lutte, suivant l’expression d’un de ses poètes, pour le droit d’avoir une âme.

« Qu’est-ce que la langue ? Un vain système de signes algébriques ou de formules sans vie ? Non, c’est l’âme, c’est le génie du peuple, ses croyances, ses traditions, ses formes d’esprit et de cœur qu’elle incarne, qu’elle conserve et qui survivent en elle. Ce sont les attaches avec le passé, c’est la survivance en nous de nos ancêtres, c’est la communauté d’idées, de sentiments qui lie chaque génération à la génération précédente.

« C’est vrai de toutes les langues, même des primitives, des moins savantes, de celles qui n’ont reçu du temps, ou de leur génie propre, qu’un incomplet développement. Et combien la démonstration en est évidente quand il s’agit de l’héritage incomparable de la langue française, l’héritière elle-même de la grâce, de l’élégance, de la précision helléniques ! Nous sommes à un tournant de l’histoire. L’axe de la suprématie industrielle et commerciale s’est déplacé. L’hégémonie mondiale n’est plus au vieux continent, mais à l’Amérique du Nord. Dans un quart de siècle, le pavillon des deux races anglo-saxonnes sillonnera toutes les mers, couvrira tous les marchés, fouillera tous les déserts. Déjà la langue anglaise a supplanté ses rivales dans les ports de l’Extrême-Orient. Le pavillon couvre non seulement la marchandise, mais la langue. D’un autre côté, le français gagne du terrain dans la haute société américaine.

« C’est plus qu’un éveil, c’est une renaissance qui