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ET SES AMIS

renvoyer cette parole brutale au panégyriste de la Montespan ?[1]

Si M. le duc de Saint-Simon n’a pas craint de calomnier Madame de Maintenon, croyez-vous qu’il se serait gêné à l’égard de Madame de Frontenac ? Comme Gilles Ménage, une autre jolie vipère[2] qui sifflait à la même époque, des Réaux et Saint-Simon auraient perdu plutôt un ami qu’un bon mot. C’est dire qu’ils n’eussent pas hésité à déshonorer Madame de Frontenac qui, Dieu merci, n’était pas leur amie, plutôt que de laisser échapper l’occasion de raconter, aux dépens de sa réputation d’honnête femme, quelqu’une de ces bonnes histoires

    — que le duc de Saint-Simon « est un janséniste poudré et parfumé. » Saint-Simon janséniste ! tout aussi bien prétendre que Voltaire était jésuite !
    Cette expression est évidemment un lapsus calami. Je ne saurais accepter pour Saint-Simon ce qualificatif de janséniste qu’à la condition de le considérer comme un synonyme de pessimiste grincheux, puritain austère ou intransigeant. Tout le monde peut lire, d’ailleurs, dans les Mémoires du fameux duc, cette solennelle déclaration de foi :
    « Je tiens tout parti détestable dans l’Église et dans l’État ; « il n’y a de parti que celui de Jésus-Christ. Je ne suis pas janséniste ! »
    Qu’était-il ? M. Gaston Boissier reéond avec l’autorité que l’on sait : « Un esprit très libre, fort hardi, et qui, même à propos des choses religieuses, usait de son indépendance ordinaire. Dans les matières de foi, il ne contestait rien ; mais pour le reste, il voulait penser et agir à sa volonté. C’était un gallican convaincu, passionné. »
    Cf : Gaston Boissier, Saint-Simon, pp. 181, 182, 183.

  1. Se rappeler que Mde de Montespan était la cousine germaine du duc de Saint-Simon. — Cf : Mémoires, tome 5, page 46, édition Hachette — Paris 1856. — Cet odieux éloge s’explique alors.
  2. Mademoiselle de Mourion reprochait un jour à Ménage son penchat à médire — « Mais savez-vous bien ce que c’est que la médisance ? » lui demanda-t-il. Elle de lui répondre : « — Pour la médisance, je ne le saurais bien dire ; mais pour le médisant, c’est Monsieur Ménage. »
    Gilles Ménage n’était pas précisément un Adonis. Madame de Sévigné disait de lui : « Il abuse du privilège d’être laid. »