Page:Myrand - Frontenac et ses amis, 1902.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
14
FRONTENAC

propre infortune conjugale. Il se perdit dans l’estime et la confiance de sa femme par une infidélité dont l’éclat et le retentissement firent scandale.

Frontenac passait, et avec raison, pour avoir été au dernier mieux avec Madame de Montespan. Seule à connaître cet adultère, Madame de Frontenac eût peut-être pardonné au coupable ; mais celui-ci, que la joie d’un triomphe libertin et glorieux étouffait, livra le secret de sa bonne fortune et chansonna Louis XIV.

Je suis ravi que le Roi, notre Sire,
Aime la Montespan !
Moi, Frontenac, je m’en crève de rire
Sachant ce qui lui pend !
Et je dirai, sans être des plus bestes,
Tu n’as que mes restes,
Ô roi !
Tu n’as que mes restes ![1]

Cette faute, publiquement affichée, centuplait l’outrage, et Madame de Frontenac en fut, vraisemblablement, plus offensée dans son orgueil que blessée dans son honneur. Si, comme la majorité de nos écrivains canadiens-français l’a malhonnêtement laissé sous-entendre, si Anne de la Grange eût appartenu au grand

  1. Mademoiselle de Montpensier raconte, dans ses Mémoires, que Frontenac avait un jour, en tirant son mouchoir, laissé tomber de sa poche une lettre d’amour adressée à Madame de Montespan (Mademoiselle de Mortemart). Un courtisan mit le pied dessus, puis, au bon moment, la ramassa et la remit à Louis XIV qui s’aperçut alors que le sieur de Buade braconnait sur ses terres et tirait impunément son gibier. Le roi en éprouva un dépit très vif qu’il dissimula cependant. De cette aventure galante il courut sous le manteau des couplets fort piquants. Celui que j’ai cité en est un des plus convenables. On me saura gré de ne pas publier les autres.

    Il est possible — peu probable toutefois — que le souvenir de cette chanson railleuse ait pesé sur la détermination de Louis XIV lorsqu’il nomma Frontenac (1672) gouverneur du Canada. Le Grand Roi ne souffrait pas de compétiteurs au pays du Tendre. Et voilà pourquoi Frontenac serait parti pour Québec. Le climat de notre pays n’était pas précisément celui de Cythère, mais il était salubre et réfrigérant.