Page:Myrand - Frontenac et ses amis, 1902.djvu/25

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
11
ET SES AMIS

la fidélité comme l’indomptable courage de l’alliée naturelle du vainqueur de Phips.

Singulier phénomène psychologique : à la distance de deux siècles et demi, quelques-uns d’entre nous gardent encore rancune à Madame de Frontenac et ne lui pardonnent pas cette absence dont je dirai plus loin, au cours de cette étude, le véritable motif. Ils l’attribuent toujours à son mépris pour nos ancêtres, à son aversion conjugale, à son amour désordonné du plaisir. Trois raisons, trois erreurs, aussi injustes que fausses. N’empêche qu’on la raille encore aujourd’hui, et fort cruellement. Pas plus tard qu’hier, s’il m’est permis de parler ainsi, je veux dire en 1900, n’écrivait-on pas à son adresse :

« Frontenac laissait une veuve très facile à consoler, et les consolations qu’elle appréciait ne manquaient pas à la cour de Louis XIV. Très mondaine et belle, elle préférait les délices de Versailles aux rudes beautés de Québec, et n’avait jamais voulu venir habiter le château Saint-Louis.[1]

Frontenac laissait une veuve très facile à consoler !

Eh ! qu’en sait-on ? À la mort de son mari, Anne de la Grange-Trianon avait soixante-six ans, étant née en 1632. Ce n’est pas précisément l’âge du flirt, et la vieillesse n’est pas, que je sache, la saison des amours volages. De plus, au 17ième siècle, il n’était pas d’usage, à l’occasion d’un deuil particulier, de venir tordre son mouchoir devant le public ou de s’éponger les yeux avec des journaux. Ce procédé, d’un mauvais goût très moderne et tout simplement révoltant, était absolument inconnu du grand monde et du beau monde de Louis XIV dont la Cour est demeurée le type du savoir-vivre raffiné, le criterium de la suprême élégance. La bourgeoisie même de ce temps-là pleurait en silence et à huis clos : sans

  1. Cf : A. B. Routhier, Québec et Lévis à l’aurore du XXe siècle, page 162.