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FRONTENAC

« Un si aimable homme, disent les Mémoires de Saint-Simon, et une femme si merveilleuse ne duraient pas aisément ensemble : ainsi le mari n’eut pas de peine à se résoudre d’aller vivre et mourir à Québec, plutôt que de mourir de faim ici, en mortel auprès d’une Divine. »

« Aucun trait de ressemblance, remarque à son tour Rochemouteix, si ce n’est un caractère très indépendant et impérieux. Le jeune ménage ne resta pas longtemps uni, chacun s’en alla de son côté. »

Ce regrettable état d’esprit créait au château Saint-Louis une affreuse solitude, un isolement intolérable pour l’illustre gouverneur qui, supportant à peine son exil doré, regrettait toujours Paris, Saint-Germain, Versailles où il avait vécu le meilleur de son existence. En vain, pour tromper son mortel ennui, s’illusionner lui-même, ce friand de plaisirs mondains, cet ambitieux d’honneurs militaires, cet assoiffé de gloire s’ingéniait-il à transformer son palais en un petit Versailles. Vainement ; cette Cour factice, où la reine manquait, si laborieusement imaginée ne lui rendait pas son foyer domestique à jamais disparu. Et ses lendemains de fêtes le trouvaient plus morose et plus triste.

Néanmoins, au point de vue des intérêts politiques de la Nouvelle-France, rien de plus heureux que cette brouille conjugale. Demeurant à Paris en permanence, Madame de Frontenac était admirablement bien placée pour conjurer les intrigues, répondre aux plaintes et combattre les ennemis du gouverneur cherchant à le perdre, à le ruiner dans l’estime de Louis XIV par tous les moyens secrets ou déclarés. Calomnies, médisances, fausses interprétations et préjugés de toute espèce, rien n’était épargné contre lui. — Delendus est Frontenac ! C’était le cri de guerre. Mais la vigueur de la défense répondait toujours à l’acharnement de l’attaque. La lutte prit un développement gigantesque : elle dura vingt-cinq ans ! C’est dire, d’un seul mot, la constance,