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FRONTENAC

portée ; M. de Frontenac en est le possesseur. » Puis elle ajoute, autant par désappointement personnel que par tendresse pour Madame de Grignan, qu’elle s’imagine consoler par cette fausse excuse : « Il eût été bien triste d’aller habiter un pays si lointain, avec des gens qu’on serait fâché de connaître en celui-ci. » Ce mépris pour la Nouvelle-France montre tout le recul de cet orgueil maternel blessé.

Le joli compliment que Madame de Sévigné adresse à nos ancêtres ! Il fait sourire plus qu’il n’irrite, car il rappelle immédiatement la fable d’Ésope. Les raisins étaient trop verts pour le renard, comme le pays était trop froid pour M. de Grignan. La vérité, c’est que le fauteuil, comme les grappes vermeilles, était placé trop haut, hors d’atteinte.

Nous devons deux fois bénir la mémoire de Madame de Frontenac et nous réjouir doublement du succès qu’elle remporta en faisant écarter la candidature de Monsieur de Grignan et triompher la cause de son mari. Admettons, pour un instant, que M. de Grignan l’eût emporté, que la noble fille de Madame de Sévigné eût daigné consentir à vivre « au milieu de gens avec lesquels on n’aimerait pas à se rencontrer en France, » croyez-vous que l’enfant de la plus célèbre épistolière du 17ième siècle — c’est le mot de Ménage à l’adresse de Balzac — croyez-vous que Madame de Grignan eût entretenu à l’égard de nos paysans un sentiment différent de celui de sa mère ? Ouvrons encore les Mémoires de Saint-Simon et lisons ensemble :

« Madame de Grignan, maria son fils à la fille du fermier-général Saint-Amand. En la présentant au monde, elle en faisait ses excuses, et, avec sa minauderie, en radoucissant ses petits yeux, disait « qu’il fallait bien, de temps en temps, du fumier sur les meilleures terres. »

Croyez-vous maintenant que cette belle madame eût consenti de recevoir, au salon du château Saint-Louis, ces paysannes, ces filles d’habitants qu’elle traitait de