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APPENDICE

de l’Ordre (du Saint-Esprit), et lieutenant-général de Guyenne. Frontenac était un homme de beaucoup d’esprit, fort du monde et parfaitement ruiné. Sa femme, qui n’était rien, et dont le père s’appelait La Grange-Trianon, avait été belle et galante, extrêmement du grand monde et du plus recherché. Elle et son amie, Mademoiselle d’Outrelaise, qui ont passé leur vie logées ensemble à l’Arsenal, étaient des personnes dont il fallait avoir l’approbation. On les appelait les Divines. Un si aimable homme et une femme si merveilleuse ne duraient pas aisément ensemble. Ainsi le mari n’eut pas de peine à se résoudre d’aller vivre et mourir à Québec plutôt que de mourir de faim ici, en mortel auprès d’une Divine. »

« Enfin, en février 1707, Saint-Simon rend compte de la mort de Madame de Frontenac, et son récit est encore un hommage à sa merveilleuse beauté :.

« Mourut aussi Madame de Frontenac dans un bel appartement que feu le duc du Lude, qui était fort galant, lui avait donné à l’Arsenal, étant grand maître de l’artillerie. Elle avait été belle et ne l’avait pas ignoré. Elle et Mademoiselle d’Outrelaise, qu’elle logeait avec elle, donnaient le ton à la meilleure compagnie de la ville et de la cour, sans y aller jamais. On les appelait les Divines. En effet, elles exigeaient l’encens comme déesses et ce fut, toute leur vie, à qui leur en prodiguerait. Mademoiselle d’Outrelaise était morte il y avait longtemps. C’était une demoiselle du Poitou[1], de parents pauvres et peu connus, qui avait été assez aimable et qui perça par son esprit beaucoup plus doux que celui de son amie qui était impérieux. Son mari qui, comme elle, avait peu de biens et, comme elle aussi, beaucoup d’esprit et de bonne compagnie, portait avec peine le poids

  1. Saint-Simon était plus exact lorsqu’il écrivait, en 1698, que Mademoiselle d’Outrelaise était originaire de Normandie. En effet, l’édition Régnier, annotant ses Mémoires, dit ceci : « Madeleine d’Outrelaize n’est connue que par son intimité avec les amies de Mademoiselle. Probablement originaire, non pas du Poitou, comme le dira Saint-Simon en reparlant d’elle, mais de la basse Normandie (château d’Outrelaize, commune de Gouvix, près Caen), c’était une parente des d’Harcourt, recueillie chez Mme de Fiesque. »
    Cf : Note 5 de la page 89 du tome Vième des Mémoires de Saint-Simon — édition Régnier — Paris, 1886, librairie Hachette.