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APPENDICE

Mais que penser alors de la conduite de son contemporain, le duc d’Épernon ? Ce fameux duc d’Épernon, « le dernier des grands seigneurs, » d’après Saint-Simon, discutant un jour avec l’archevêque de Bordeaux » lui bailla trois coups de poing dans la figure et la poitrine, et, lui donnant plusieurs fois du bout de son bâton dans l’estomac, lui dit que, sans le respect dû à son caractère, il le renverserait sur le carreau ! »

Cette édifiante anecdote est rapportée dans les Mémoires de Richelieu. Elle vaut, à elle seule, tout le volume.

Frontenac n’était pas impunément fils et petit-fils de soldat. Si j’étais médecin, je dirais que la colère fut la température normale du sang, toujours bouillant, de ce fougueux Buade. Chez lui, l’emportement de l’esprit tenait de l’exubérance même du courage. C’est le défaut de la qualité. Que l’impétuosité de son caractère ne nous fasse pas cependant méconnaître l’admirable bravoure du héros. La colère est atavique, la vaillance, traditionnelle aussi : sachons excuser l’une en appréciant l’autre comme il convient.

Dans tous les cas, demeurons bien persuadés que les violences grotesques, les brusqueries ridicules, et les frasques légendaires de Frontenac causèrent à ses contemporains, vivant avec lui en contact immédiat, essuyant, par conséquent, tout le feu des premières décharges, une impression beaucoup moindre que celle laissée dans l’esprit d’un lecteur moderne, Duchesneau, Champigny, Villeray, Perrot, Fénélon, Morel, tous les antagonistes de Frontenac, avaient non seulement l’habitude mais la pratique des grands gestes et des éclats de voix furibondes. Coups pour coups, telle était la méthode en usage chez le beau monde policé de l’époque.

Mais que les coups de canne de Frontenac ne nous fassent point oublier ses magnifiques coups d’épée. À quoi bon donner méchamment, comme exemple de la fureur brutale de Frontenac, la misérable bagarre du 16 août 1681, quand il est si facile de lui préférer, comme modèle accompli d’une noble, royale et patriotique colère, cette autre scène, pathétique et grandiose, qui se joua, le matin du 16 octobre 1690, au salon du château Saint-Louis. Qui osera comparer le Frontenac du 16 octobre 1690, foudroyant du regard, de la voix et du geste, l’insolent parlementaire de Phips, au Frontenac du 16 août 1681, faisant sauter