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APPENDICE

l’espèce humaine la Providence a mis les Princes, d’essence à part, et quasi divine. Il crève les yeux qu’ils ne sont pas faits de la même pâte que le reste des mortels. »[1]

Tels sont les sentiments et les préjugés de la Grande Mademoiselle, sentiments et préjugés de toute la Cour, au temps de Louis XIV. Entre les mains d’une noblesse imbue de pareilles idées, la valetaille, « cette pâte, » d’essence absolument méprisable, était pétrie à point.

Or, par un comble de rudesse dans les mœurs et d’inconséquence dans les idées, cette même noblesse française appliquait aux règlements des discussions soulevées entre égaux la discipline avec laquelle elle régentait les domestiques. Ce même Richelieu qui rossait si volontiers laquais et soldats, souffletait encore les ministres, ses collègues. La Grande Mademoiselle, nous rapporte encore Arvède Barine, « avait un verbe et des gestes de pandour lorsqu’elle discutait, et faisait mille imprécations. » Un jour, dans une altercation, elle menaça le maréchal de l’Hôpital de lui arracher la barbe de ses propres mains. Le grand officier eut peur et fila doux.

Rien de bien étonnant donc que Frontenac rudoyât les membres du Conseil Souverain, qu’il les menât à la baguette, comme il advint à cette orageuse séance du 16 août 1681, où le gouverneur, fou de colère, barrait le passage à Duchesneau et le menaçait de sa canne s’il osait quitter la salle avant la signature des procès-verbaux. L’intendant, épouvanté, lui échappa en sautant par la fenêtre.

Et c’est au lendemain d’une telle scène que Madame de Frontenac délivrait à son mari son fameux certificat de douceur de caractère ! (Cf : pages 70 et 71 de la présente Étude) La Divine dut rire de bon cœur en adressant son Mémoire au marquis de Seignelay, et répéter à Mademoiselle d’Outrelaise, son intime, le mot plaisant de Lenclos : « Ah ! le bon billet qu’a La Châtre ! »

On se scandalise, et avec raison, de l’impudence d’un Saffrey de Mézy jetant à la tête de Mgr de Laval la clef du jardin du Séminaire comme dernier argument d’une discussion acrimonieuse où l’irascible gouverneur s’était honteusement oublié.

  1. Cf : Arvède Barine, La jeunesse de la Grande Mademoiselle, page 151.