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FRONTENAC

effet, reine ou sujette, n’était plus aimable et plus aimée qu’elle. Toute sa vie, elle fut entourée de gens empressés à lui plaire ; mais elle était fière comme Diane, et tenait haut le sceptre qui jamais ne s’échappa de ses doigts. »

Cette fascination irrésistible, la comtesse-diplomate l’exerça à notre profit en deux circonstances mémorables : la première, lors de la nomination de son mari (6 avril 1672) au poste de gouverneur de la Nouvelle-France, et la seconde, quand elle fit rentrer Frontenac (7 juin 1689) dans son gouvernement de Québec. Sans cette double victoire, — un chef-d’œuvre d’intrigue politique renforcée de rouerie féminine, — sans cette double victoire, dis-je, le Canada eût été perdu pour la France dès 1690, car Sir William Phips aurait eu bon marché de Denonville, qui n’avait pas même su venger le massacre de La Chine, et personne, Frontenac absent, n’aurait eu la crânerie de répondre à l’amiral anglais « par la bouche de ses canons. »

Des furets d’antichambres, calomniateurs publics chassant au scandale comme l’épagneul à la perdrix, ont dit que la commission de Frontenac lui fut obtenue par des amis « heureux de le dépêtrer de sa femme et de lui donner de quoi vivre ; » que de plus le nouveau gouverneur « n’eut pas trop de peine à se résoudre d’aller vivre et mourir à Québec plutôt que de crever de faim à Paris.[1] »

Comme dans tout mensonge historique bien préparé, ces assertions perfides renferment du vrai et du faux. Seulement, le vrai ne s’y rencontre que dans la proportion infime du sucre dans la pilule, et pour le même motif.

Le vrai consiste en ceci : la commission de Frontenac, comme gouverneur du Canada, lui fut obtenue par des amis heureux de tirer de la pauvreté un brave officier tout couvert de blessures. À Paris, Frontenac qui

  1. Cf : Mémoires de Saint-Simon, année 1707, tome 5, page 336, édition Hachette, Paris 1856.