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APPENDICE

jamais closes ; les témoins nouveaux toujours entendus, les nouvelles preuves toujours admises, si tard qu’on les présente et à quel qu’étage que l’on en soit rendu dans l’instruction de la cause. Ce qui me permet de plaider ici en cassation du jugement rendu.

On avait donc entendu dire qu’à la mort de Monsieur de Frontenac, son cœur, enfermé dans une boîte de plomb — d’autres prétendent coffret d’argent — avait été envoyé à la comtesse sa femme qui l’avait orgueilleusement refusé disant : « qu’elle ne voulait point d’un cœur mort qui, vivant, ne lui avait point appartenu ! »

Et cette calomnie, faisant boule de neige, se grossissait, comme à plaisir, de détails inédits autant que persuasifs. Ainsi, le racontar nommait avec un bel aplomb le révérend Père récollet dont la mission charitable avait si piteusement échoué auprès de l’inexorable Divine et qui, plus honteux qu’un renard qu’une poule aurait pris, s’en était revenu placer le cœur répudié de Frontenac sur son cercueil où tous deux dormirent ensemble près de cent ans (1699-1796) comme la Belle au Bois des contes de Perrault. Puis était advenu l’incendie du couvent des Récollets : alors cercueil et coffret s’en étaient allés, toujours de compagnie, continuer leur somme à la cathédrale de Québec, primo loco, sous la chapelle de Notre-Dame-de-Pitié, et, secondo loco, sous le parvis du sanctuaire de la chapelle Sainte-Anne, dans la même église, etc, etc. Toutes et chacune dites pérégrinations constatées par moults bons témoins.

Or, cette malice posthume n’a pas été conservée mais inventée par la tradition. Cette tradition, rien moins qu’historique, n’est pas d’origine française, mais canadienne, québecquoise seulement. Imaginée de ce côté-ci de l’Atlantique, cette anecdote malveillante n’est rapportée par aucun des chroniqueurs et des historiographes français du 17ième ou 18ième siècle. Rendons hommage, je ne dirai pas à la sagacité, mais au simple bon sens de ces écrivains : aucun d’eux ne fit à cet odieux potin l’honneur de le prendre au sérieux, de le considérer comme un commérage vraisemblable.

Seuls, quelques auteurs canadiens-français osèrent lui donner asile dans leurs ouvrages au risque d’en compromettre l’autorité