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FRONTENAC ET SES AMIS

« Henriette-Marie de Buade-Frontenac est représentée tête nue, les cheveux en boucles dénouées, un collier de perles autour du cou, la robe ouverte, brodée sur les coutures et garnie de guipures. Je n’insisterai pas sur la délicatesse infinie des accessoires ; dans les épreuves à fleur de coin, fort rares du reste, de cette planche, le traitement de la robe, de la guipure et des cheveux tient du prodige ; ce n’est plus un travail d’outil rigide entamant le cuivre, c’est une caresse, un souffle, quelque chose de blond, de vaporeux, de léger, de fugace. Mais ce qui m’intéresse surtout c’est le visage, c’est la personnalité très écrite que la bonne foi inflexible de l’artiste y a mise. Notre graveur ne flatte jamais son modèle, fût-ce une jeune et noble dame. Il le voit tel qu’il est, sans détours et sans vaines recherches, et l’acuité pénétrante de son sentiment naturaliste excelle à en découvrir les accents particuliers, le caractère intime, la synthèse décisive ; il rédige le procès-verbal d’une physionomie avec la clairvoyance déliée d’un juge d’instruction. Devant une telle œuvre j’oublie volontiers l’homme du métier ; je ne vois que le portraitiste qui est un des plus sincères, un des plus étonnants que je connaisse. »

L’éminent critique donne ensuite, par ordre chronologique, la liste des portraits gravés par Claude Mellan. Ils sont au nombre de quarante. « Et dans cette longue galerie, nous fait remarquer M. Louis Gonse, pas une œuvre médiocre, pas une œuvre qui n’ait sa signification. » Vainement y ai-je cherché le nom de Frontenac. Il était cependant bien naturel de croire que la sœur favorite eût commandé à cet incomparable artiste, intime de sa maison, le portrait du frère préféré, trop souvent et si longtemps absent de Paris et de France. N’accusons pas Madame de Montmort : il est certain qu’elle y songea. Mais le moyen, dites-moi, d’amener Frontenac à s’asseoir, l’espace d’un quart d’heure seulement, dans un atelier de graveur, de sculpteur ou de peintre ? Frontenac eût fait un malheur : les gens à métier lent, tous les artistes, l’exaspéraient. Après sa glorieuse aventure du bras cassé devant Orbitello, le fougueux militaire aurait pu, stricte-