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ET SES AMIS

damentale du « plus beau jeune sermon » qu’elle eût entendu l’avait réconfortée, soutenue, contre les suprêmes angoisses de la dernière heure. Comme elle avait bien retenu l’austère mais consolante raison du neveu de Frontenac !

Toutefois, il ne fallait pas trop s’étonner qu’elle ne l’eût pas oubliée. Entre le premier sermon du futur évêque de Perpignan et le dernier soupir de Madame de Sévigné, vingt-cinq ans précis (avril 1671 — avril 1696) s’étaient écoulés. C’était, sans doute, un long espace de temps. Mais aussi, que d’événements sinistres avaient surgi, bien propres à rappeler aux mémoires les plus rebelles comme aux esprits les plus frivoles cette réflexion du prédicateur. Ce quart de siècle avait été fécond en lugubres éphémérides : Louis-Frauçois de Buade mort avant Henriette-Marie de Buade, puis Henriette-Marie ; Henri-Louis Habert de Montmort avant Madame de Longueville, puis Madame de Longueville ; La Grande Mademoiselle avant l’évêque de Perpignan, puis l’évêque de Perpignan ; la marquise de Sévigné avant… qui donc ? Serait-ce à lui le tour ?

Mais Frontenac ne songeait pas à répondre. Cette récapitulation nécrologique, loin de le préoccuper, avait pour effet de le distraire, de l’amuser presque, en lui rappelant, par la cadence rythmique de la phrase et l’ordonnance des mots, une Pensée de Marc-Aurèle, et cela, si vivement, qu’il croyait en avoir le texte latin sous les yeux :

« Contemple des hauteurs ces troupeaux innombrables d’hommes, cette diversité d’êtres qui naissent, qui vivent ensemble, qui s’en vont… Vérus mort avant Lucilla, puis Lucilia ; Maximus avant Secunda, puis Secunda ; Faustine avant Antonin, puis Antonin ; Adrien avant Celer, puis Celer. Il en est ainsi de toute chose. »

L’empereur philosophe ne croyait pas, hélas ! à l’immortalité de l’âme. Un homme qui meurt n’est, à ses yeux, qu’un fruit mûr qui tombe de l’arbre ; rien de plus. Il regrette, sans doute, que les bons ne ressuscitent pas,