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ET SES AMIS

manière très leste et très hardie, personnelle aux gens de guerre qui marchent à l’autel comme ils montent à l’assaut. Tous deux avaient amené leurs fiancées à s’insurger contre l’autorité légitime, à les épouser malgré leurs parents. Et, rien que d’y penser, cela pimentait le plaisir de la noce.

Mêmes causes, mêmes effets ! Pareilles alliances, pareils chagrins domestiques ; souvent aussi, pareils malheurs. J’ai raconté en détail l’histoire du mariage de Frontenac ; celui du chevalier de La Rivière est presque identique. Il avait épousé, à l’insu de son père, la fille du comte de Bussi-Rabutin, Françoise-Louise de Rabutin, veuve du marquis de Coligni-Langeac. Frontenac avait un beau-père dont l’influence ne comptait pas, le chevalier de La Rivière en avait un dont l’autorité comptait trop. Autant le sieur de Neuville, Charles de la Grange, était craintif et versatile, autant messire Bussi-Rabutin était irascible et résolu. La Grange s’était consolé de la rébellion de sa fille en convolant lui-même, mais il n’en fut pas de la sorte pour monsieur le comte, qui, furieux contre son voisin — Frontenac l’était aussi de La Grange — mit tout en œuvre pour rompre le mariage. Anne de La Grange avait résisté jusqu’à la fin ; Françoise-Louise de Rabutin céda tout de suite et se déclara elle-même contre son époux. Les tribunaux prononcèrent en faveur de La Rivière qui ne réussit pas cependant à ramener sa femme. En désespoir de cause, il se retira à l’institution de l’Oratoire, à Paris, où il menait une vie fort exemplaire, aux dernières nouvelles.

Et c’est à tout cela que songeait Frontenac tenant à la main cette lettre de faire part, datée le 23 janvier 1695, qui lui annonçait le décès de son neveu, Louis Habert de Montmort, évêque de Perpignan.

Il regardait loin devant lui, fixement, et souriait d’un air moqueur, car il revoyait, d’imagination, la figure contrite de cet autre lui-même, de cet éclopé de la vie conjugale, remisé forcément dans le célibat, de ce grand diable devenu moine, au rebours du proverbe, avant d’être