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FRONTENAC ET SES AMIS

où l’on invitait les célébrités contemporaines pour leur seul mérite personnel, sans considérations d’origine ou de fortune, cette autorité, dis-je, pesa tyranniquement sur toutes les ruelles élégantes de l’époque. Les Montmorts la subirent volontiers et l’imposèrent à leur tour. Personne ne songea à se plaindre de ce despotisme éclectique qui proclamait l’égalité sociale des gens de lettres et des gens du monde. On sait les conséquences heureuses qu’entraîna, pour le langage et la littérature, cette révolution pacifique dans les mœurs du dix-septième siècle. Rambouillet, Sévigné, Maintenon, Frontenac et Montmort sont autant de noms illustres dans l’histoire des progrès du parler français. De fait, il est indéniable que de leur temps il sût atteindre une perfection si haute que nous regardons encore aujourd’hui comme une gloire et comme une force le seul mérite de nous y maintenir sans défaillance.

Non seulement la princière maison de Montmort était un asile pour les philosophes suspects, un sanctuaire de lettres sacrées et profanes, un berceau d’académies, mais elle était encore un refuge de proscrits politiques. C’est là que dans la nuit du 20 octobre 1652 la Grande Mademoiselle, Anne-Marie-Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier, vint y chercher un abri, sur le conseil de sa maréchale de camp, Madame la comtesse de Frontenac. La Fronde était vaincue, Condé en fuite, Turenne triomphant, la Cour et le Roi rentrés avec lui à Paris, bref, la déroute était complète. C’était, pour les ennemis de Mazarin, l’heure fatale de l’affolement et de la panique, le moment du sauve-qui-peut général, instant décisif, minute suprême qu’il ne fallait point laisser échapper, au risque de sa propre tête.

— Où voulez-vous donc que j’aille, Monsieur ? demandait à son père la belle Frondeuse, toute frissonnante du péril de la situation.

— Où vous voudrez, avait répondu Gaston d’Orléans.

Mademoiselle de Montpensier s’en alla, à tout hasard,