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ET SES AMIS

raffiné, peut-être même un blasé intellectuel, un viveur dilettante voulant jouir à outrance du plus grand plaisir de la vie. Et quel était, à cette époque, ce plus grand des plaisirs de la vie, suivant le mot de Mademoiselle de Montpensier à Madame de Motteville ? Le siècle de Louis XIV n’a qu’une voix pour répondre : La conversation. Or Du Lude, au témoignage irrécusable des Lettres de Madame de Sévigné, était un des plus spirituels causeurs de l’Europe. Aussi M. le duc éprouvait-il une joie souveraine à rencontrer chez elles Mesdames de Frontenac et d’Outrelaise, De Longueville, de Coulanges, de Maintenon, de Sévigné, dont les salons fameux étaient autant d’antichambres de l’Académie. Tout y était noble : l’amitié, le langage, le goût, les manières et le sang ! Les discussions littéraires ressemblaient à de merveilleux tournois, et les assauts de conversation l’emportaient, sur ceux des maîtres d’armes, par l’adresse, le brio, la fougue des engagements.

Or, Madame de Frontenac, dans ces joutes courtoises où l’esprit tenait haut l’épée, rencontrait à la parade les plus vives attaques du brillant officier.

Prompte à deviner ses feintes, habile à masquer les siennes, elle avait le coup d’œil rapide et le jeu sûr des duellistes qui pensent et agissent, combinent et exécutent instantanément. Son esprit tenait de la foudre qui brille et frappe à la fois. Ici, l’éclair tuait toujours. L’ennemi revenait-il à la charge, sa vaillance semblait acquérir à ce nouveau contact des fines lames un regain de fougue, atteindre un degré de maestria inconnue jusqu’alors mais qui n’enlevait rien à la précision des coups ni à la ténacité de la résistance quand l’engagement, d’emporté qu’il était, devenait opiniâtre et se prolongeait au delà de la durée permise aux combats d’avant-garde. Les adversaires étant d’égale force, la plupart des batailles livrées demeuraient indécises, victoires douteuses que chaque parti s’attribuait. Il advenait cependant que l’ancienne maréchale de camp de la belle Frondeuse réduisait au silence les batteries du grand maître de l’artillerie. Ce n’était alors, par toute la ruelle élégante, que