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ET SES AMIS

de toute la tête et de tout son prestige. À quoi bon avoir combattu quarante ans avec le courage et la fierté d’un lion si des soldats de parade l’emportaient sur le vétéran, si l’intrigue prévalait sur la blessure ? À quoi bon se réclamer de Québec délivré, de Candie assiégée, des campagnes d’Espagne, d’Allemagne, de Bohême, du bras cassé à Orbitello et de la journée de Saint-Gothard ?

Puis, ce brevet d’honneur n’arrivait-il pas vraiment trop tard ?[1] Encore un an de délai — ce qui eût reculé la cérémonie au 15 octobre 1698 — l’investiture du nouveau chevalier devenait impossible ; la dernière maladie étant alors déclarée, cette croix de Saint-Louis, tant ambitionnée par Frontenac, n’eut été déposée que sur son cercueil. Les pressentiments du vieux gouverneur ne l’avaient certes pas trompé. Effectivement, il fut très court pour Frontenac « le peu de temps qui lui restait à vivre avec distinction. »

Bonnes intentions mal interprétées, belles œuvres anéanties, services méconnus, projets contredits, entreprises combattues à outrance, mérites bafoués, triomphes jalousés, honneurs mendiés, tel était le bilan des mécomptes de Frontenac interrogeant, dans la solitude claustrale de son vieux château, les souvenirs d’un mémoire implacable comme la conscience, et qui ne lui faisait grâce du moindre détail amer ou cruel. Ce beau tapage que nous appelons la gloire humaine — la Renommée aux cent bouches et aux cent yeux des Classiques — montait alors aux oreilles attentives du gouverneur dont l’ouïe subtile et exercée ne perdait rien des acclamations et des huées, des bravos et des sifflets dont cette clameur, sonore et vide, était faite. Et il lui semblait que dans ce tumulte la huée l’emportait sur l’acclamation. Il en éprouvait alors un sentiment de douleur atroce, tout de colère et

  1. Ce brevet lui parvint le 15 octobre 1697, à l’arrivée, à Québec, des vaisseaux venus de France. Louis XIV désigna Vaudreuil comme parrain du nouveau chevalier.